Ou bien l’Europe fait un pas de plus, mais décisif, dans la voie de l’intégration politique, ou bien elle sort de l’Histoire et sombre dans le chaos. Nous n’avons plus le choix: c’est l’union politique ou la mort. Tel était le fil directeur qui a amené, sous la houlette de l’essayiste français Bernard Henri Levy, plusieurs écrivains et intellectuels européens à se retrouver lundi 28 janvier, au Théâtre du Rond Point à Paris, pour une manifestation organisée par ARTE, intitulée, comme pour faire sursauter « Europe ou chaos ».
Umberto Eco, Hans Christoph Buch, Juan Luis Cebrián, György Konrád, Julia Kristeva avaient répondu présents à l’appel – Claudio Magris, Salman Rushdie, Fernando Savater étaient de ceux qui, signataires du manifeste ne pouvaient pas être présents. Ce texte a été publié le 26 janvier 2013 dans différents quotidiens nationaux tel que Le Monde, El Pais, Corriere della Sera ou encore le Frankfurter Allgemeiner Zeitung.
En ces jours si critiques, alors que l’unité et la relance qu’auraient pu susciter les 50 ans du traité de l’Elysée se sont trouvées mises en échec par la proposition de David Cameron d’un référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne, personne ne prendrait le risque de ne pas parler de « crise » de l’Europe.
Pour les intervenants de cette soirée, cette crise n’est pas seulement économique mais révèle des difficultés plus profondes, de nature culturelle et politique. La situation appelle alors, sans délai une réponse, pouvant naître d’ initiatives fortes et convergentes.
L’Europe n’est pas un fait de nature et elle est en crise.
Suite au discours introductif de Bernard-Henri Lévy, centré sur un rappel historique de l´Europe des guerres, de cette Europe qui se fait et se défait, de Justinien à Charles V, Georgy Konrad, romancier hongrois, a donné sa vision très émouvante et personnelle, remontant à son enfance pendant la deuxième Guerre mondiale et à sa jeunesse pendant la Guerre froide.
Le chômage et le manque de responsabilité politique de la part des institutions sont apparus dans les mots de Juan Luis Cebrián, homme d’affaire espagnol placé à la tête du groupe de communication PRISA. Le journaliste a rappelé que pour l´Espagne, l´Europe, dans les années 70, n´était pas le problème, mais la solution et a dénoncé le fait que l’austérité nous amène à la mort. Le message principal de son discours ? Plus de responsabilité politique de la part des dirigeants actuels semble alors nécessaire .
Par la suite, l’écrivain allemand Peter Schneider a évoqué cette dictature dans laquelle nous vivons aujourd’hui en Europe : il parlait bien sûr des dictatures des marchés financiers, des banques allemandes et françaises. Il a ainsi appelé à la création d’un public européen qui ferait résistance à cette dictature.
Etats-Unis d’Europe, fédération de cultures: quel projet pour l’Europe?
Umberto Eco, avec son humour habituel, a pris la parole pour rédiger une allocution centrée sur l’Europe des cultures. Jeanne d´Arc ou Garibaldi ont été présents dans son discours, qui relança la nécessité de créer un sentiment européen à tous les niveaux, en commençant par les écoles et finissant par les maires. Le sens identitaire européen vit seulement parmi les élites intellectuelles, affirmait l´écrivain italien.
Si l´intervention d’Umberto Eco s’est fondée sur la notion d’identité, celle de Hans Christoph Buch reprit l’idée de la création des États Unis d´Europe, autour de trois points : l’équilibre entre l´économie de marché et les droits sociaux, l’unité politique, au moins dans la politique extérieure, ainsi que les droits de l’homme et la démocratie, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union. Find out what you cannot do. Then go, and do it: c’est dans cet état d’esprit que, selon lui, il faut marcher vers cette utopie des Etats Unis d’Europe.
Enfin, grâce à une tonalité différente, l´intervention de Julia Kristeva a permis au public d’appréhender l’importance de la culture au sein de de l´Union Européenne. Pour l´écrivaine bulgare, autodécrite comme pessimiste énergique, la culture doit être la voie de la fédération. Parmi les raisons données par Kristeva, elle a mis en avant l´importance de l´humanisme et du féminisme comme héritage de l´Europe. Lorsque nous vivons une « crise de civilisation » car « nous ne savons pas à quoi nous croyons », a expliqué l´écrivaine, il faut créer une fédération des cultures européennes. Se pose désormais la question de savoir si un espoir de réussite existe.
Comme le manifeste lui même, le « débat » était marqué par une sorte de nostalgie d’un temps passé, de l’Europe des pères. Même si l’intitulé du débat indiquait qu’il porterait sur le futur et sur les rêves d’une Europe fédérale, il manquait un peu d’espoir réel et toutes les justifications d’un futur fédéralisant pour l’Europe étaient tournées vers le passé, un passé qui beaucoup voient comme la cause de la situation actuelle et comme un obstacle au changement.
A la fin de ces présentations, que nous (Cristina Cartes et Soledad Rodríguez Sánchez-Tabernero), étudiantes à Natolin et à Bruges, avons eu, grâce au partenariat avec ARTE, la chance d’intervenir. Nous avons alors essayé de donner un point de vue un peu plus jeune, plus réaliste et plus critique. (Pour visualiser cette intervention, voir vidéo suivante à 1h44min et 44 sec).
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Cristina a centré son intervention sur la situation problématique des jeunes dans une Union européenne qui a travaillé pour assurer le présent de nos pères mais qui semble avoir oublié le futur et le droit au travail de la jeunesse. Soledad, elle, a introduit le sujet du déficit démocratique de l’Union et de l’absence d’un espace public européen auquel les intervenants avaient fait référence. Le temps a ensuite manqué pour aborder d’autres sujets clefs telles que la place des droits sociaux dans une Europe plus intégrée, ou la question des frontières de cette dernière.
Nous attendions de leur part des réponses pratiques, mais leur absence peut se justifier par le fait que ce n’est pas à eux de donner ce type de réponses que nous trouverons nous mêmes au Collège. C’est à nous de donner l’espoir et l’inspiration, de demander du « courage politique » aux politiciens, mais sans jamais perdre notre esprit critique. Reste à savoir si ce manifeste peut devenir un tournant réaliste dans une Europe toujours coincée dans le passé
Nos interventions, comme le débat, ont été repris tant sur les réseaux sociaux tels que Twitter, dans des quotidiens nationaux tels qu’El Pais, ou dans d’autes médias tels Café Babel. Espérons alors que notre double message puisse être entendu. Nous la jeunesse de l’Europe, nous existons et avons conscience des défis sociaux, culturels, économiques, financiers et politiques de demain. Mais ces défis ne seront relevés que si nous dessinons ensemble un projet capable de séduire pour réunir.
Cristina Cartes, Soledad Rodriguez Sanchez, Marie-Salomé Rinuy
Cristina Cartes: Etudiante au Collège d’Europe (campus de Natolin), je suis journaliste de formation. Je suis passée par pour différents médias espagnols et j’ai été éditrice de la version espagnole de www.cafebabel.com pendant un an à Paris.
Soledad Rodríguez Sánchez-Tabernero: Etudiante en droit au Collège d’Europe ( Bruges), je suis diplômée en Droit et en interprétation de l’Université de Salamanque ( Espagne),où j’ai aussi suivi un MA en Affaires Européennes.
Marie-Salomé Rinuy: Assistante académique au Collège d’Europe (Bruges), je suis diplômée en Etudes Européennes Interdisciplinaires de ce même institut (Natolin) et j’ai une formation franco-allemande en sciences politiques et en droit de l’environnement.
Pour aller plus loin :
Retrouver l’intégralité du débat au lien suivant. Les interventions de Soledad et de Cristina commencent à la 104,43ème minute.
Le manifeste en différentes langues: en italien, en français, en espagnol, en anglais.
Quelques articles qui reprennent le débat:
http://www.cafebabel.fr/article/43244/europe-des-jeunes-ou-le-chaos.html
http://internacional.elpais.com/internacional/2013/01/28/actualidad/1359408317_967604.html